Manuel Patrouillard
Face à la progression de l’épidémie dans les pays les plus pauvres, Handicap International* doit adapter ses 40 programmes dans une soixantaine de pays pour répondre à la crise. Alors qu’elle est encore relativement invisible dans ces pays, parfois en raison de la faiblesse des capacités de détection, l’ONG se prépare à une vague d’une ampleur jamais connue. Reconversion de ses plateformes logistiques pour les adapter aux nouveaux enjeux, fabrication et distribution de matériel de protection, mobilisation des travailleurs sociaux à des fins de détection de la maladie, évolution des rituels pour protéger bénéficiaires et collaborateurs.
A travers ces adaptations, Handicap International entend soutenir les populations, dans la prévention et la détection de la maladie, l’effort de confinement et le renforcement des systèmes de santé.
Mais comment faire face et anticiper les évolutions d’une situation inédite et dans 60 pays simultanément ?
Manuel Patrouillard nous répond sur les adaptations de la gouvernance, du management et de la communication interne…
En quoi vos activités sont-elles impactées par la pandémie ?
Tout d’abord, il faut bien considérer que nous sommes chanceux ! En effet, nos revenus, pour le moment, bénéficient d’une période de grâce puisqu’ils proviennent pour 70% de financements publics qui sont globalement maintenus pour l’instant et que les flux de dons privés sont majoritairement effectués sous la forme de prélèvement… Nous restons cependant très attentifs puisque la situation reste fragile et que nous anticipons un trou d’une dizaine de millions d’euros en 2020 malgré toutes nos actions de mitigation.
A ce stade de la pandémie, nous sommes en capacité de poursuivre la moitié des opérations qui étaient en cours.
Le reste des projets étant malheureusement stoppés du fait du confinement. Nous ne sommes donc pas à l’arrêt.
Notre difficulté réside néanmoins dans l’ajustement d’un pilotage opérationnel, dans des circonstances hétérogènes de pandémie, ce qui revient à gérer 60 crises de front !
Quelles sont alors les modalités de pilotage que vous avez mises en place pour relever ce défi ?
N’oublions pas, en premier lieu, que nous sommes des urgentistes. Cette crise sanitaire, nous l’avons vu arriver et nous avons, dès janvier, pris des dispositions pour limiter le déplacement des expatriés et stopper les nouvelles expatriations « en famille », puis toutes les nouvelles expatriations, ce qui, du reste, n’a pas toujours été facile à faire comprendre en interne.
Ensuite nous avons mis en place un dispositif de gouvernance assez exceptionnel depuis début mars.
Tout d’abord, nous avons créé plusieurs cellules de crise déclinées par ligne métier : direction générale, direction opérationnelle, financière, collecte etc… Ces cellules se réunissent à un rythme à minima hebdomadaire et bénéficient d’une organisation structurée : ordre du jour standard, avancée des projets, reporting…
Parallèlement, nous avons deux calls transversaux chaque début de semaine (un en anglais et en français, selon les pays concernés) pour mobiliser les 60 directeurs de programme et directeurs pays basés sur nos terrains. Animé par la directrice des opérations, ce rendez-vous est ouvert très largement à l’ensemble de nos managers seniors (une cinquantaine de participants par call). Il permet de produire une forme de catharsis propice à la diminution du stress et à la collaboration entre pairs. Il est à ce titre intéressant d’observer que les sujets d’échanges se sont adaptés naturellement à l’évolution de la situation : échanges des vécus dans un premier temps de « sidération », réflexions sur l’adaptation des projets ensuite et nous commençons à présent à recueillir des témoignages, des bonnes pratiques d’adaptation de nos projets et de belles histoires de mobilisation. Autre intérêt de ce format de rencontres : sentir là où çà vibre !
Chaque entreprise, et c’est là mon expérience de consultant, doit repérer cette source de richesse qui lui est personnelle : c’est précisément à cet endroit qu’il faut ouvrir pour que cette énergie raisonne très largement en interne. Chez HI, c’est la mission sociale et le contact avec le terrain. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense conserver ces rendez-vous après la crise.
Handicap International est une association de solidarité internationale indépendante, qui intervient depuis 35 ans dans les situations de pauvreté et d’exclusion, de conflits et de catastrophes. Œuvrant aux côtés des personnes handicapées et vulnérabilisées, elle agit et témoigne pour répondre à leurs besoins essentiels et améliorer leurs conditions de vie. Elle s’engage à promouvoir le respect de leur dignité et de leurs droits fondamentaux.
Depuis sa création en 1982, Handicap International a mis en place des programmes de développement dans plus de 60 pays et intervient dans de nombreuses situations d’urgence. Le réseau de 8 associations nationales (Allemagne, Belgique, Canada, États-Unis, France, Luxembourg, Royaume-Uni et Suisse) œuvre de manière constante à la mobilisation des ressources, à la cogestion des projets et au rayonnement des principes et actions de l’organisation.
Handicap International est l’une des six associations fondatrices de la Campagne internationale pour interdire les mines (ICBL), colauréate du prix Nobel de la paix en 1997 et lauréate du Prix Conrad N. Hilton 2011. Handicap International agit et témoigne partout où « vivre debout » ne va pas de soi.